James MARTIN : "L'IA est en train de ralentir la transition énergétique, là où on devrait l'accélérer"

James MARTIN : "L'IA est en train de ralentir la transition énergétique, là où on devrait l'accélérer"

Ancien journaliste tech, James Martin est aujourd’hui le fondateur du blog BetterTech, un espace de réflexion critique sur les impacts environnementaux et sociétaux des technologies. Dans cette interview riche et engagée, il revient sur son parcours, sa définition du numérique responsable, les angles morts des entreprises, et surtout les impacts environnementaux vertigineux de l’intelligence artificielle.


Quel est ton parcours, et comment en es-tu venu à t'engager sur les enjeux du numérique responsable ?

James : « Je suis journaliste de formation, d’abord dans la musique et les jeux vidéo, puis rédacteur de la page Tech du magazine « A Nous Paris ». J’ai eu une sorte de saturation à force d’écrire sur les dernières consoles et gadgets. J’ai alors commencé à aborder des sujets plus profonds : le temps d’écran, la protection des données, les impacts environnementaux de la tech. Le vrai déclic, pour moi, ça a été le scandale Cambridge Analytica en 2018. Ça m’a ouvert les yeux sur les dérives systémiques du numérique ; j’ai donc créé BetterTech, mon blog dédié au numérique responsable.

Puis chez Scaleway, où j’ai travaillé dans le cloud, j’ai découvert de l’intérieur les enjeux du hardware, des data centers, et du software. J’ai aussi compris que les discours techniques étaient souvent un écran de fumée : il fallait vulgariser ces sujets pour les rendre accessibles. J’ai donc écrit un white paper sur le Green IT, en 2023, ce qui m’a amené à aborder ce même sujet en conférences, chose que je continue à faire aujourd’hui, dernièrement à ChangeNOW. »


Quelle est ta définition du numérique responsable ?

James : « C’est tout ce qu’on peut faire pour réduire l’impact du numérique sur la planète. Cela passe par les trois piliers : data centers, hardware, et software. Mais il faut aussi comprendre que l’impact ne se limite pas aux émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, la fabrication représente 80 % de l’impact d’un smartphone, bien plus que l’énergie consommée pendant son usage. C’est pourquoi allonger la durée de vie des équipements est l’un des gestes les plus puissants qu’on puisse adopter. »


Qu’est-ce qui freine les entreprises dans leur transition numérique responsable ?

James : « Il y a un manque criant de vision à long terme. Le monde de la tech est obsédé par la nouveauté. Aujourd’hui, l’IA monopolise l’attention et détourne les ressources de projets de sobriété numérique. Pourtant, il y a des quick wins énormes : faire durer le matériel, automatiser l’extinction des machines, choisir des IA plus sobres. Mais tout est focalisé sur l’innovation pour l’innovation, souvent au détriment du bon sens. »


Quel est ton regard sur l’impact environnemental de l’intelligence artificielle ?

James : « L’IA est un véritable turbo-boost pour l’empreinte du numérique. Elle casse tous les gains d’efficacité réalisés ces 15 dernières années. Alors que l’utilisation du cloud a augmenté de plus de 500 %, sa consommation d’énergie est restée stable grâce à des optimisations. L’IA explose cette stabilité. Les GPU utilisés pour l’IA consomment 4 fois plus d’énergie que les processeurs classiques. Résultat : la demande énergétique des data centers va tripler voire quadrupler d’ici 2030, selon de nombreux rapports sortis dernièrement, dont ceux de l’IEA (Agence Internationale de l’Energie).

Et ce n’est pas que l’énergie : c’est aussi l’eau. Un prompt de 100 mots sur ChatGPT peut consommer un demi-litre d’eau, d’après certaines estimations. Et la moitié des data centers des hyperscalers sont situés dans des zones déjà en stress hydrique. Sans régulation, l’IA devient un frein à la transition écologique ; elle pousse à prolonger l’usage d’énergies fossile. Il faut au moins dix ans pour construire un central nucléaire, or la demande explose maintenant. Donc à la place, on continue de compter sur le gaz, ou même le charbon. »


Que reproches-tu aux grandes entreprises de l’IA comme OpenAI ou Google ?

James : « Deux choses : l’opacité et la démesure. Ni OpenAI, ni Microsoft, ni Google ne publient d’informations détaillées sur les impacts environnementaux de leurs modèles. Ça empêche tout débat éclairé. Et ensuite, il y a cette obsession avec le “plus gros c’est mieux” (“bigger is better”). Or, il existe des LLM (grands modèles de langage) beaucoup plus petits, 30 à 60 fois moins gourmands, qui font aussi bien le travail. A la place, on préfère utiliser un bazooka pour tuer une mouche. »


Existe-t-il des alternatives plus responsables à ces IA géantes ?

James : « Oui, et il faut les promouvoir. J’utilise personnellement HuggingChat, l’outil développé par Hugging Face , qui propose plusieurs modèles open source avec des tailles connues. Par exemple, le modèle phi de Microsoft, à 14 milliards de paramètres, est beaucoup plus sobre que les gros LLMs plus connus. Il existe aussi Ecologits.ai, un comparateur d’impact entre modèles d’IA, développé par GenAI Impact , association dont je fais partie. L’objectif, c’est d’aider chacun à choisir l’outil le plus frugal adapté à son besoin. »


Peut-on vraiment faire de l’IA une technologie soutenable ?

James : « J’aimerais dire oui, mais pour l’instant, c’est encore trop tôt. Les modèles actuels ont été conçus dans une logique de gigantisme qui rend leur durabilité presque impossible. Et l’absence de transparence des acteurs empêche une vraie évaluation. L’IA pourrait être utile si elle servait des cas précis, avec des modèles spécialisés et sobres. Mais pour l’instant, on utilise un modèle géant pour faire du superflu. »


Quels conseils donnerais-tu pour une IA plus frugale au quotidien ?

James : « D’abord : interrogez le besoin. Ai-je vraiment besoin d’IA générative ? Si oui, puis-je utiliser un modèle plus léger ? Et enfin, même quand on utilise un modèle, on peut rédiger des prompts plus sobres. Ajouter "sois concis" à la fin d’un prompt peut réduire de moitié la consommation énergétique de la réponse. Ce sont des petits gestes, mais à l’échelle, ça compte. »


As-tu des ressources inspirantes à recommander ?

James : « Oui ! 2 livres : « Empire of AI » de Karen Hao, une plongée fascinante dans les coulisses d’OpenAI, et « The Ministry for the Future » de Kim Stanley Robinson, une fiction d’anticipation réaliste sur notre avenir climatique. Et bien sûr, mon article de blog du 19 avril 2025, “AI’s Impacts: how to limit them and why” – j’y ai rassemblé les données, graphiques et sources pour mieux comprendre les enjeux.

Enfin, je vous invite à venir à Viva Technology à Paris, où j’animerai notamment un débat avec Dr. Sasha Luccioni , AI & Climate Lead de Hugging Face, et Kathleen Kallot , Fondatrice de Amini . Rendez-vous le 12 juin ! »

#IA #NumériqueResponsable #GreenIT

 

Vincent Ducas

Directeur Conseil Digital4better & fruggr

1 mois

Merci Yannick Bole-Richard et James Martin pour cet itw. Je note la TR de Vivatech le 12 !

James Martin

Content & communications expert, passionate about making tech more sustainable & responsible

1 mois

Merci Yannick d’avoir si bien résumé notre échange. & merci Clément pour la reco !

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets